Les chasseurs bientôt à l’assaut du parlement européen ?

L’interdiction de la chasse au plomb dans les zones humides, imposée par l’Europe, entrera en vigueur en France dans quelques semaines. Préfiguration probable d’une interdiction totale de la vente de munitions au plomb à compter de 2024, cette nouvelle protection des sites naturels pourrait conduire Willy Schraen à politiser davantage le monde cynégétique. Les documents internes de la Fédération nationale des chasseurs obtenus par Lanceur d’alerte révèlent que le chef de file des chasseurs envisage une riposte de grande envergure contre ce genre de contraintes environnementales. Schraen souhaite que des « listes rurales » se présentent aux élections européennes de 2024. Objectif : lutter au sein du parlement européen contre la “grangrène verdâtre” qui entrave la chasse.

Le 15 février 2023, grâce à une décision de l’Europe, l’utilisation de munitions en plomb deviendra interdite dans un rayon de 100 mètres autour des zones humides. Polluant gravement les sols, l’usage de la grenaille au plomb décime aussi les oiseaux, y compris les espèces protégées. Une étude germano-britannique publiée en juin 2022 démontre une corrélation entre le nombre de chasseurs dans les pays européens et l’intoxication des oiseaux par les munitions. Ainsi le métal neurotoxique aurait tué 55 000 rapaces eu Europe, et causé l’intoxication de nombreuses espèces de gibier d’eau, qui confondent la grenaille avec le gravier qu’elles ingèrent dans leur gésier, pour digérer les graines.

Manque de chance pour les nemrods, le nouveau règlement européen sur l’usage du plomb pourrait bientôt limiter considérablement l’étendue de nombreux plans de chasse en France. Et autant de carnages faciles. Car les zones humides sont encore des lieux de traque privilégiés : le gibier peut facilement s’y abreuver en période de sécheresse et se tenir à l’écart des activités humaines dans ces espaces naturels peu praticables.

L’Europe dans la ligne de mire des chasseurs

« L’Europe a encore frappé ! » C’est en ces termes que la Fédération nationale des chasseurs accueillait en 2021 l’annonce de ces nouvelles mesures protectrices.

Le lobby de la chasse a en effet de quoi s’inquiéter. En effet, pour l’heure, les zones humides ne bénéficient que d’une protection peu efficiente. D’après la loi en vigueur, les chasseurs ne sont pas autorisés à user de munitions au plomb dans les zones humides, à moins d’éviter de tirer vers le sol ou un cours d’eau. En pratique, donc, la police de la chasse est souvent impuissante, ne pouvant être postée derrière chaque chasseur pour s’assurer que l’angle de son tir soit règlementaire.

Au 15 février 2023, la constatation des infractions de chasse dans les zones humides sera beaucoup plus simple. La seule détention de munitions au plomb dans une zone humide ou aux abords de celle-ci pourra être sanctionnée, dès lors qu’un tir y est entendu.

Pour continuer à canarder dans ces lieux d’intérêt écologique majeur, il faudra désormais utiliser des munitions en acier ou en bismuth, moins polluantes, et rarement compatibles avec les fusils actuellement en circulation. « Le coût de remplacement des armes de chasse est estimé entre 650 millions et 975 millions d’euros » indique Schraen. Dans un communiqué de sa fédération, le chasseur déclare être opposé à la limitation de l’usage du plomb de chasse tant qu’il n’existera pas d’alternative au coût raisonnable.

Mais le second volet du nouveau règlement européen préoccupe encore plus la fédération nationale des chasseurs. En 2024, les états membres seront libres de prononcer l’interdiction de commercialiser toute munition au plomb, seule mesure permettant de limiter drastiquement la pollution. Pour Willy Schraen, c’est la contrainte de trop.

Les lobbyistes rêvent d’être élus

Particulièrement habile et puissant en France, le lobby cynégétique a subi, sur la question du plomb, une cuisante défaite dans les instances européennes. Pour une fois, les liens politiques que Schraen a tissé avec Emmanuel Macron ne lui ont été d’aucun secours. Bien qu’étant largement acquis à la cause cynégétique, les élus de l’axe macroniste ont été mis en minorité au parlement européen sur cette thématique environnementale. Or, Schraen l’a bien compris, c’est plus que jamais à Bruxelles et à Strasbourg que se joue l’avenir de la chasse française.

A l’assemblée générale des chasseurs de 2020, Schraen déclare : « Le président de la République a donné des ordres [à ses parlementaires européens LREM] pour rejeter en commission le nouveau zonage anti-plomb de chasse, mais la France apparaît minoritaire. Nous devons donc travailler sur le sujet avec la prudence nécessaire dans la protection des intérêts de notre filière et des chasseurs ».

Lors de l’AG suivante, en mars 2021, le nemrod prend acte de la menace que représentent le parlement européen, où son influence politique est moindre. A défaut de parvenir à un lobbying efficace, les chasseurs devront s’immiscer dans l’institution : « Si l’Europe persiste dans cette guerre idéologique, il faudra donc changer l’Europe de l’intérieur, en proposant des listes rurales aux prochaines élections. Ce n’est plus une éventualité, c’est la solution, pour combattre la gangrène verdâtre qui contamine à chaque élection un peu plus tous les services, comme le coeur de l’hémicycle européen ».

Il faudra changer l’Europe de l’intérieur, en proposant des listes rurales aux prochaines élections. (…) C’est la solution, pour combattre la gangrène verdâtre qui contamine à chaque élection un peu plus tous les services, comme le coeur de l’hémicycle européen”.

Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs

Pour le moment secrets, les candidatures du lobby de la chasse pourraient être présentées comme de simples expressions citoyennes du monde rural ou faire coalition avec des élus Renaissance. Car la défense assumée et exclusive de la chasse ne rassemble pas largement les électeurs, qu’ils soient citadins ou ruraux. Pour mémoire, le Mouvement de la ruralité (ex-CPNT) avait été contraint de s’associer aux Républicains (ex-UMP) en 2012, n’atteignant aucun résultat significatif lorsqu’il se présentait seul aux élections.

Ce grand dessein électoral coïncidera-t-il avec le projet de reconquête de la ruralité entamé récemment par Emmanuel Macron ?


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Photographie : Hémicycle du parlement européen ; Franco Ricci / Adobe Stock