La macronie a-t-elle débauché un conseiller occulte chez les chasseurs ?

Le lobby des chasseurs aurait-il infiltré l’État à son plus haut niveau ? En 2018, un cadre d’une fédération de chasse aurait été officieusement conseiller auprès de Sébastien Lecornu – aujourd’hui ministre des Armées – quand ce dernier était secrétaire d’État au ministère de la Transition écologique. D’après le nemrod, proche de longue date de M. Lecornu, ce rôle de conseiller officieux consistait à « orienter un peu le travail de préparation de la réforme de la chasse de 2019 ». Qui est donc ce conseiller de l’ombre ?

« Emmanuel Macron a fait plus que n’importe quel président pour la chasse » se félicitait le président de la Fédération de nationale des chasseurs, Willy Schraen, lors de son assemblée générale 2020, hautement satisfait de la réforme de la chasse de 2019 engagée par Emmanuel Macron l’année précédente. Et d’annoncer qu’un représentant des chasseurs avait suivi son élaboration, au coeur même du ministère de la Transition écologique, en qualité de conseiller du Président de la République.

Ces propos, retranscrits dans les compte-rendus d’assemblée générale de la Fédération nationale des chasseurs que nous nous sommes récemment procurés en même temps que les comptes annuels témoignent de la proximité entre le lobby de la chasse et l’exécutif. A longueur d’interventions, lors des assemblées générales de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen ne nommait-il pas cette réforme de la chasse « notre réforme » ?

Pour préparer cette importante évolution législative, offrant notamment aux chasseurs la possibilité de bénéficier de l’éco-contribution, et le transfert à leurs fédérations départementales de prérogatives stratégiques jusque-là réservées aux préfets, le secrétaire d’État à la Transition écologique d’alors, Sébastien Lecornu, se serait paré des conseils d’un chasseur exerçant des responsabilités dans le monde cynégétique.

Son nom ? Nicolas Gavard-Gongallud. Inconnu à ce jour du grand public, il est maire adjoint d’Evreux en charge de la sécurité (élu sous l’étiquette LR), et conseiller départemental de l’Eure (élu sous l’étiquette « divers »).

L’homme a rarement fait parler de lui dans la presse. Sauf un jour de juin 2019, où il a cru utile de défendre son directeur de la sécurité municipale. A Evreux, l’agent public avait usurpé un uniforme de police [sans insigne] au sein d’une manifestation de gilets jaunes, et y avait été photographié en possession d’une arme de catégorie D. Une véritable « affaire Benalla » locale selon le syndicat national des policiers municipaux. « Le directeur de la sécurité avait un gel au poivre et non du gaz lacrymogène » avait rappelé à la presse locale le sieur Gavard-Gongallud, rassurant.

Côté cynégétique, il est directeur de la fédération départementale des chasseurs de l’Eure depuis 2007, fonctions qu’il cumule depuis 2019 avec celle de directeur délégué de la Fédération régionale des chasseurs de Normandie.

Ce « passionné des oiseaux » (c’est ainsi qu’il se définit) est également l’auteur de deux livres sur l’élevage des faisans. Sa spécialité est la « production d’oiseaux de qualité aptes à être introduits dans le milieu naturel ». L’un des bouquins prodigue notamment « des conseils sur l’aménagement des territoires de chasse » et promet de partager « les meilleures méthodes de lâcher. » Autant de techniques que M. Gavard-Gongallud met en pratique dans ses deux territoires de chasse normands.

Cumuls de fonctions dans l’ombre de Sébastien Lecornu

Les relations professionnelles entre M. Lecornu et M. Gavard-Gongallud ne datent pas de la réforme de la chasse.

Au moment où M. Gavard-Gongallud était invité aux réunions du ministère de la Transition écologique, il avait déjà été durant deux ans conseiller du même M. Lecornu au Conseil départemental de l’Eure, fonctions qu’il a exercé entre mai 2015 et mai 2019 [Sébastien Lecornu y siégeait entre avril 2015 et juillet 2017]. Pourquoi aller chercher des conseils loin de chez soi quand il suffit de piocher dans le cabinet de sa collectivité territoriale ?

A l’issue de ses missions de conseil auprès du Secrétaire d’Etat Lecornu, M. Gavard-Gongallud a été investi (bénévolement), entre juin et septembre 2020, de la direction de la campagne sénatoriale de… Sébastien Lecornu – encore lui – juste avant que celui-ci ne devienne Ministre des Armées. Ce même Lecornu, toujours, qui avait décoré M. Gavard-Gongallud de l’ordre du mérite en 2018. C’est dire à quel point leurs parcours s’entrecroisent et s’entraident.

Une mission de conseiller intraçable et aux contours flous

Alors que le gouvernement « Edouard Philippe 2 » avait annoncé en 2018 une simple « consultation » des chasseurs et associations écologistes en vue de préparer la réforme de la chasse, le lobby des chasseurs estime au contraire que M. Gavard-Gongallud aurait eu un rôle de « conseiller » auprès de la macronie. Réalité ou abus de langage ?

Contacté par « Lanceur d’alerte », Nicolas Gavard-Gongallud nous confirme l’existence d’une mission de conseiller auprès du Secrétaire d’Etat. « Je n’ai pas exactement conseillé le président de la République, précise-t-il. M. Lecornu [en tant que secrétaire d’Etat] était chargé de la préparation de la réforme de la chasse en 2018. A cette occasion, j’ai travaillé pour lui. »

Pour quelles missions ? « Je n’étais pas conseiller officiel du Secrétaire d’Etat ; j’ai un peu orienté le travail sur la réforme de la chasse. Je participais aux réunions au ministère » nous répond-il depuis son bureau de la Fédération de chasse de l’Eure.

D’après nos informations, le travail de M. Gavard-Gongallud au sein du ministère n’aurait fait l’objet d’aucun écrit. Ni fiche de poste [il n’a pas été rémunéré par le ministère], ni arrêté ministériel, ni rapport, ni compte-rendu de réunions. « Tout se passait à l’oral lors des rendez-vous » indique le conseiller de l’ombre. L’absence de toute procédure écrite, paraissant inimaginable au sein d’un tel ministère, ne permet donc de mesurer ni l’étendue des missions du conseiller ni l’incidence de ses suggestions.

Etait-il simplement « consulté » au même titre que l’ensemble des associations environnementales ? Ou a-t-il eu un rôle qui lui permettait d’infléchir la mise en œuvre du travail, voire la prise de décisions ? « Je n’ai rien infléchi du tout, nous répond l’intéressé. In fine, c’est toujours le ministère qui décide ».

Sous couvert de « consultation », le ministère de la Transition écologique aurait-il autorisé une mission de conseil ? Et ainsi permis de contourner une nécessaire saisine de la Haute autorité de la transparence pour la vie publique (HATVP) ? [Ndlr. Cet organisme est chargé de déterminer si des fonctions au sein de l’administration peuvent présenter – ou paraître présenter – un conflit d’intérêts avec d’autres fonctions. Par exemple celles que le conseiller exerçait déjà à l’époque au sein d’une fédération de chasse, ou au sein du cabinet du président du Conseil départemental de l’Eure.]

Mystère, car Matignon n’a pas souhaité nous indiquer la nature des missions qui incombaient au « conseiller ».

Le chasse des espèces en déclin, c’est lui ?

Sur ce sujet, le président de la Fédération des chasseurs de l’Eure a en tout cas bien voulu répondre aux questions de « Lanceur d’alerte ». Il dit ne pas se souvenir de l’ensemble des thématiques évoquées au cabinet du secrétaire d’État, celles-ci ayant été selon lui « très nombreuses ». Mais nous indique avoir été sollicité sur des sujets environnementaux de premier ordre.

A commencer par l’opportunité de la « gestion adaptative » et ses modalités de mise en œuvre. « C’est un système qui permet de ne prélever une espèce que lorsqu’elle est en bon état de préservation ou en excès de population, et de la réguler comme cela se faisait autrefois » rappelle-t-il.

Au téléphone, Nicolas Gavard-Gongallud poursuit : « Quand on protège une espèce, il n’y a jamais de retour en arrière. C’est la théorie du cliquet. On le voit aujourd’hui avec la protection d’espèces d’oiseaux marins. Certaines espèces de goélands et de mouettes – pas toutes – sont plutôt en bon état de conservation ou posent des problèmes, comme les goélands argentés. Ils attaquent les touristes. On paye des centaines de milliers d’euros pour stériliser les œufs alors que le principe de la régulation aurait pu s’appliquer à ces espèces, comme il s’applique à d’autres. »

Le Goéland effrayant le touriste – peintures réalisées par l’Intelligence artificielle

A ce jour le goéland, espèce protégée, reste interdit de chasse. Mais le principe de gestion adaptative, nouveauté législative dont Gavard-Gongallud semble l’un des instigateurs – ou à minima l’un des défenseurs au ministère -, a dores et déjà à donné du fil à retordre à plusieurs associations de défense de l’environnement, depuis son entrée en vigueur en 2019.

Au titre de la gestion adaptative, le gouvernement a autorisé le tir de 17 460 tourterelles des bois pour la campagne de chasse 2020. Mais le Conseil d’Etat a suspendu l’arrêté gouvernemental en septembre de la même année. Il a également contraint le gouvernement de suspendre la chasse au Grand Tétras, figurant sur la liste rouge française des espèces menacées.

L’éco-contribution ? « Une compensation à la loi Voynet » !

Aux côtés de M. Lecornu, Nicolas Gavard-Gongallud a également défendu le projet d’éco-contribution, versée aux chasseurs. Si le directeur de la Fédération départementale des chasseurs de l’Eure réfute fermement l’idée que la loi de 2019 dont a accouché Lecornu offrirait un quelconque « cadeau » aux chasseurs, il n’hésite toutefois pas à affirmer qu’elle serait une « compensation à l’obligation d’indemnisation des agriculteurs » (obligation qui fut arrachée par Dominique Voynet en 1998).

« Je sais que ça ne plaît pas aux opposants à la chasse qui font leurs choux-gras de cette soit-disant manne donnée aux chasseurs mais l’éco-contribution, ce n’est que redonner aux chasseurs ce qui leur avait été pris par la loi de Dominique Voynet  » se réjouit-il.

Une loi environnementale qui « compenserait » les effets d’une autre ? Ne serait-ce pas la définition même du cadeau ? « En terme de trésorerie, il n’y a pas de lien entre l’indemnisation des agriculteurs et les projets financés par l’éco-contribution » rétorque M. Gavard-Gongallud. « Mais tout de même, dit-il, la réforme de la chasse n’a fait que rétablir ce que l’État avait gardé depuis 1998 », faisant référence aux fonds de l’ex-ONCFS que les chasseurs ne purent jamais « capter » à l’administration, aux fins d’indemnisation des dégâts agricoles causés par les animaux sauvages.

Dans les salons du ministère de la Transition écologique, les chasseurs semblent bel et bien avoir pris leur revanche.


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