LOSC Lille : les finances du club de foot et leur opacité organisée posent question

Le fonds d’investissement luxembourgeois Merlyn, arrivé au capital du club de foot de Lille en décembre 2020, a aidé le club à éviter la faillite. En revanche, il ne communique pas plus que l’actionnaire précédent sur la manière dont le LOSC est géré. La remontée de très importants profits vers le Luxembourg en 2021 pose question, alors que le club demeure très fortement endetté et que l’identité de ses créanciers demeure inconnue. Cette opacité financière laisse les supporters du club dans l’inconnu sur les priorités et impératifs de ses propriétaires.

En septembre dernier, c’est un transfert d’un genre moins habituel qui se produisait autour du club de foot de Lille, LOSC. Plutôt que de joueurs, il était cette fois-ci questions de parts sociales ; c’est-à-dire les titres de propriétés portant sur les ressources d’une entreprise (son capital social). A Luxembourg, le capital de Merlyn GP Sàrl, l’entité qui regroupe les parts des associés du fonds actionnaire de LOSC, Merlyn Partners SCSp, a ainsi été réorganisé. 

Une gouvernance très secrète

Une des trois dirigeantes du fonds, l’allemande Maren Schirmer, a ainsi transféré une partie de ses parts à une nouvelle holding qu’elle détient et a créée en juillet à Luxembourg, Lilienthal SPF. Elle a cédé l’autre partie à Gryphon Holdings, une autre holding luxembourgeoise contrôlée par son collègue chez Merlyn, l’italien Alessandro Barnaba. Leur troisième associé, le néerlandais Maarten Petermann,  a lui aussi cédé ses parts à Gryphon. 

Les deux hommes se sont rencontrés alors qu’ils travaillaient ensemble pour la banque JP Morgan à Londres. JP Morgan était alors créancier de LOSC, une situation supervisée par Maarten Petermann, responsable des entreprises en difficultés (dites « special situations ») pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Alessandro Barnaba, qui travaillait dans les activités de banques d’affaires de JP Morgan, avait aussi œuvré sur ce dossier. Ils ont créé un fonds d’investissement, Merlyn Partners SCSp, en 2020 . En décembre cette année-là, ils ont finalement racheté le LOSC auprès de Gérard Lopez, homme d’affaires hispano-luxembourgeois et ancien propriétaire du club. Ce dernier a quitté le club dans un piètre état, car le LOSC risquait la banqueroute. Il était lourdement endetté, d’à peu près 200 millions d’euros, principalement auprès du fonds new-yorkais Elliott, outre la dette moins importante auprès de JP Morgan.

Le transfert de parts sociales de Merlyn GP est-il anodin, ou dénote-t-il d’une évolution dans la gouvernance du club ? Maarten Petermann et Maren Schirmer se mettent-ils en retrait dans la direction de LOSC, au profit d’Alessandro Barnaba, ou bien leur transfert de parts a-t-il été compensé d’une autre manière ? Bref, à quoi sert ce transfert ? Difficile de le savoir, car aucun n’a souhaité répondre à nos sollicitations. Cet exemple illustre combien les associés du fonds communiquent peu sur la manière dont ils gèrent et dirigent le LOSC, et sur leur stratégie pour le club. 

Des comptes sociaux non publiés en France et au Luxembourg

Il est particulièrement difficile d’y voir clair sur les finances du LOSC, car les sociétés détenant le club ne publient pas leurs comptes. Elles sont pourtant soumises à cette obligation légale. En France, la société LOSC Lille SA a certes déclaré ses comptes pour la saison 2020-2021 : en cela, le fonds d’investissement luxembourgeois Merlyn Partners SCSp, le nouvel actionnaire de Losc a changé les habitudes par rapport à la période Gérard Lopez. Car lorsque ce dernier était propriétaire, LOSC Lille SA ne publiait plus ses comptes.                                                                                                           

Sauf que les seuls comptes de LOSC Lille SA ne permettent pas d’avoir une vision pertinente de la santé économique du club. Ce dernier est en effet structuré entre plusieurs autres sociétés, selon un montage complexe, composé d’une holding française et de trois sociétés luxembourgeoises

La société française gérant le club de Lille, LOSC Lille, est ainsi détenue à 99% par une holding française, L Holding, créée par Gérard Lopez en 2017. Cette dernière n’a jamais publié ses comptes, et Merlyn n’a pas rompu avec cette habitude.

L Holding appartient elle-même à une holding luxembourgeoise, Lux Royalty S.à r.l. Lux Royalty est la société-fille d’une autre structure du grand-duché, Callisto Sporting s.à r.l. qui est à son tour détenue à majorité par Merlyn Partners SCSp, au Luxembourg, et pour le reste par deux entités domiciliées au Delaware, Birch International I LLC et Birch Associates I LLC. Ces deux sociétés américaines représentent le fonds new-yorkais Elliott, créancier du LOSC depuis 2017. Or ni Lux Royalty S.à r.l ni Callisto Sporting S.à r.l, ni Merlyn SCSp n’ont publié de comptes pour l’année 2021.

Quant à Merlyn Partners SCSp, elle est administrée et détenue en partie par Merlyn GP, qui regroupe les parts des gérants du fonds Merlyn. Comme tout fonds de private equity, Merlyn investit grâce au capital de ses associés (ici, Maren Schirmer, Maarten Petermann et Alessandro Barnaba), mais aussi d’investisseurs externes lui confiant leur argent, les “Limited Partners” ou LPs. Leur identité n’a toutefois pas été divulguée par Merlyn ni par le LOSC. 

Cette opacité laisse planer le doute, par exemple, sur l’échéance à laquelle le fonds devra revendre le club. Car les LPs, comme les associés du fonds, attendent un retour sur leur investissement, au terme d’une période généralement déterminée à la constitution du fonds (pour Merlyn, en 2020). Et les gérants de Merlyn, les GPs, se rémunèrent sur la somme qu’ils dégagent de la vente de leur investissement, mais aussi sur les commissions versées par les LPs : ils ont donc intérêt à les contenter.

Un endettement toujours important en 2021

D’après les quelques informations disponibles, Merlyn a-t-il aidé le LOSC à se remettre sur pied financièrement ? De fait, le club de foot a commencé à redresser ses comptes depuis l’arrivée du fonds en décembre 2020. Grâce à un apport immédiat de 40 millions d’euros par ses nouveaux actionnaires à ce moment, le club a évité la cessation de paiement. En France, le LOSC déclarait un chiffre d’affaires d’environ 65 millions d’euros sur la période courant de juillet 2020 à juillet 2021 . Comme pour les autres clubs de foot, la grande majorité (57 millions environ) provient des droits audiovisuels que le club touche sur les matchs retransmis à la télévision. 

Fin juin 2021, la société LOSC Lille SA n’était toutefois officiellement pas encore rentable. Sur cette période, elle déclarait des pertes de 23,5 millions d’euros, moins que l’année précédente (47 millions d’euros). En déficit, elle ne payait donc pas d’impôts en France.  D’après un article publié par L’Equipe en juin, le club aurait finalement pu dégager un bénéfice sur 2021-2022. Cette évolution aurait cependant donné lieu à un désaccord entre le président du club, Olivier Létang, et ses actionnaires de Merlyn. Selon l’Equipe, Merlyn ne voulait pas déclarer un bénéfice, car cela l’aurait obligé à payer des impôts et verser un intéressement aux salariés. Le fonds souhaitait aussi rembourser au plus vite Elliott, pour s’émanciper du fonds. Or cela n’a pas été de l’avis du gendarme financier de la Ligue de football professionnel, la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qui a exigé au contraire que les ressources du LOSC, ses fonds propres, s’améliorent substantiellement. Ce à quoi le LOSC s’est finalement plié le même mois, car la DNCG lui a finalement donné son approbation. Quel bénéfice a finalement déclaré le club pour 2021-2022 ? Et le LOSC a-t-il finalement payé des impôts en France pour la période 2021-2022 ?

Une autre incertitude importante demeure sur le niveau d’endettement du club. La dette atteignait des montants considérables à l’arrivée de Merlyn, fin 2020 : environ 200 millions d’euros. Or, selon les comptes 2020-2021 de LOSC Lille SA, la dette globale demeurait très élevée à 254 millions d’euros. 133 millions d’euros environ devaient être remboursés avant juin 2022, tandis que les 121 millions restants devaient l’être entre juillet 2022 et juillet 2026. Mais depuis, difficile de savoir où en est le club, car sa direction n’a pas communiqué sur d’éventuels remboursements. Elle n’a pas non plus expliqué à qui le LOSC doit cette dette. Or connaître l’identité des bailleurs, outre JP Morgan et Elliott, et les montants qu’ils ont prêté permettrait de comprendre quelle influence ils peuvent avoir sur la gouvernance du club.

75 millions d’euros de profits partis dans les paradis fiscaux

Enfin une dernière question plane sur la structuration, entre les filiales, de cette dette. Sous la houlette de Gérard Lopez, la dette était structurée entre holdings au Luxembourg et le club en France. Fin 2020, Lux Royalty disposait ainsi d’une créance de 206 millions d’euros sur Losc Lille SA. [Ndlr. Les créances interfiliales constituent une pratique commune dans les stratégies des financiers, dont les structures sont basées dans les paradis fiscaux. Elles permettent des remontées de profits dans les paradis fiscaux via les intérêts appliqués]. Connaître le taux d’intérêt de cette créance pourrait éclairer sur son but : s’agissait-il pour Gérard Lopez d’un moyen d’optimiser la fiscalité du LOSC ? Cette question concerne aussi le nouvel actionnaire, MerlynPartners SCSp.

Car Lux Royalty S.à r.l était elle-même endettée, ses comptes pour 2020 faisant état d’un montant principal de 144 millions d’euros, pour des intérêts de 75 millions d’euros, ce qui est anormalement élevé dans le monde de la finance. En effet les taux d’intérêts sont encadrés et ne peuvent être usuriers. Dans son cas, il représente un taux d’intérêt global d’environ 50% ! Or cette dette devait être remboursée en plusieurs étapes, entre août et septembre 2021, lorsque Merlyn Partners SCSp était arrivé au capital. A qui devait-elle être payée ? Et les remboursements ont-ils finalement eu lieu ? Cette structuration a-t-elle permis de « remonter » des profits auprès de la holding de tête au Luxembourg, en diminuant l’imposition du club en France ? Questionnés sur l’ensemble de ces sujets, le LOSC et Merlyn Partners n’ont pour le moment pas souhaité répondre à Lanceur d’alerte.


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