Perquisition chez Lactalis 6 ans après mes révélations : la crise agricole pourrait durer

Le géant du lait Lactalis a été perquisitionné hier en trois lieux, y compris dans l’hôtel particulier de son PDG Emmanuel Besnier, milliardaire de son état.

Le groupe agro-alimentaire est suspecté par le parquet national financier d’avoir éludé plusieurs centaines de millions d’euros d’impôts via les paradis fiscaux, tel que je l’affirme depuis maintenant 6 ans. [Ouest France, 06/02/2024 : “Lactalis, géant mayennais du lait, perquisitionné pour des soupçons de fraude fiscale massive“]

A l’origine de cette affaire, une enquête financière qui me fût commandée par la Confédération paysanne en 2018 après que celle-ci ait appris que j’avais été la source de Laurent Valdiguié pour feu « Ebdo » (aujourd’hui journaliste chez Marianne). Nous avions en effet publié une première analyse inédite sur la remontée des profits du groupe vers le Luxembourg reprise par plusieurs médias.

Sur la base de mes estimations (200 millions d’euros d’évasion fiscale) établies dans mon rapport, le syndicat agricole saisit le parquet national financier en 2019. [Avec le média d’investigation Disclose je suis par la suite revenu en détail sur les mécanismes financiers utilisés par Lactalis pour réaliser cette « optimisation fiscale » massive.]

Dans une nébuleuse de holdings basées en Belgique et au Luxembourg, je découvrais que Lactalis versait en 2017 quelque 1,99 milliard d’euros à sa société luxembourgeoise NETHUNS, coquille vide non productive. Objectif de l’opération : produire de la dette en France et contourner ainsi l’impôt. Lactalis a bien sûr démenti toute allégation d’évasion fiscale, tout en s’empressant de dissoudre NETHUNS en 2022, après une première perquisition fiscale de la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) en 2019.

Il aura donc fallu 6 ans pour que cette affaire avance un peu. Elle semble encore loin d’être jugée.

Quelle opportunité a ainsi été manquée d’éviter ou d’amoindrir la crise agricole qui mine le pays…

Plutôt que de sacrifier dangereusement le droit environnemental et la biodiversité tel qu’il le fait aujourd’hui, l’exécutif aurait dû urgemment dès 2019 porter une attention soutenue aux pratiques commerciales et fiscales de l’agro-industrie, principales causes explosives des problèmes de rémunération rencontrés par les paysans.

Il aurait également dû contraindre Lactalis à publier ses comptes, qui les dissimulait alors en toute illégalité. (Nous avons dû nous en charger à nos frais, moi et mon frère Alexandre, en assignant Lactalis au tribunal de commerce de Laval en 2019, représentés par Me Jade Dousselin.)

Dans ces comptes, je découvrais que Lactalis, premier acheteur du lait produit sur le territoire français, réalisait des profits records, tout en achetant le lait à un tarif excessivement bas selon les syndicat agricoles [à ce jour, Lactalis propose une réévaluation du prix d’achat à 465 euros les 1000 L, tandis que l’Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis en réclame 484 euros].

La non-publication des bilans ne facilitait évidemment pas les tentatives de négociations commerciales engagées régulièrement par les agriculteurs, qui travaillaient pour certains à perte pendant que la famille Besnier remontait en toute discrétion des centaines de millions d’euros vers les paradis fiscaux.

Entre 2009 et 2019, une partie des profits du groupe s’est envolée au Luxembourg, faiblement taxée. Ces procédés sont de toute évidence une insulte faite au travail acharné des agriculteurs et au financement de la politique agricole commune (PAC), à qui M. Besnier doit une importante partie de sa fortune et sa position hégémonique.

Dans mon livre « Là où est l’argent », enquête sur les paradis fiscaux parue en 2019, j’ai tenté de montrer, en immersion dans deux paradis fiscaux, comment la finance menace la stabilité de nos pays. Le mouvement social des agriculteurs nous rappelle que cette menace est plus actuelle que jamais.

Que faire, à présent ? Diffuser des articles, des tribunes, signer des pétitions, manifester ? Tous ces modes opératoires, aussi nécessaires soient-ils, nous montrent leurs limites objectives, en ce qu’ils sont soumis au temps politique et judiciaire.

Il est désormais urgent de s’organiser collectivement sans les gros financiers. Dans tous les domaines de la vie économique.

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