Le roi de la viande Bigard dissimule de nouveau ses comptes

En pleine crise agricole, le roi de la viande dissimule de nouveau illégalement ses comptes. Et l’administration ne trouve manifestement rien à redire.

Imaginez un instant : vous êtes éleveur de bovins. Vous vendez votre production au groupe Bigard pour environ 3,50 euros le kilo [chiffres de 2020]. Les coûts de production ne cessant d’augmenter, vous perdez 1,20 euros sur chaque kilo vendu. 70 heures par semaine, vous travaillez à perte pour le PDG Jean-Paul Bigard et sa famille, dont la fortune personnelle est estimée à 725 millions d’euros.

Un soir, épuisé, vous tentez d’estimer la juste rémunération de votre travail.

« Quelle part m’est due ? » vous demandez-vous. Vous décidez de vous renseigner sur les profits enregistrés par celui à qui vous vendez votre production. La base de toute relation commerciale, en somme. Vous vous connectez à la page web Infogreffe, où les comptes de Bigard sont censés être en ligne – c’est une obligation légale pour un groupe d’une telle taille.

Mais vous constatez, stupéfait, que l’industriel ne les publie pas. L’administration, qui a les moyens de l’y contraindre, n’a manifestement rien fait, malgré une commission d’enquête houleuse au sujet des activités de l’industriel. « Comment se fait-il qu’un groupe aussi gros ne subisse aucune sanction ? vous demandez-vous. Que font les présidents des tribunaux de commerce ? Que fait le gouvernement ? » Mais il est déjà tard. Il faut retourner demain matin au travail, et le cycle infernal continue.

En 2019, l’association « Lanceur d’alerte » que j’ai cofondée avec mon frère Alexandre, l’association L214, la journaliste Inès Léraud et le lanceur d’alerte Pierre Hinard ont assigné les sociétés Bigard, Charal et SOCOPA au tribunal de commerce de Laval pour les contraindre à publier leurs comptes, qu’elles dissimulaient alors illégalement. Le jour de l’audience, les trois sociétés ont publié leurs comptes 2013 à 2017.

Dans ces documents, nous découvrions que le groupe Bigard réalisait des profits records. Le bénéfice net de Bigard pour l’année 2017 ressortait à 51,9 millions d’euros (+24 % par rapport à 2016), celui de Socopa à 25,5 millions (+17 %) et celui de Charal à 20,1 millions (stable sur un an).

Durant cette même période, les éleveurs se plaignaient de ne pas réussir à vivre de leur travail.

Depuis cette action en justice, Bigard a repris ses mauvaises habitudes : les comptes des exercices suivants n’ont jamais été publiés. L’administration, elle, n’est toujours pas intervenue. La FNSEA non plus, sans doute trop occupée à demander l’abolition des normes environnementales…

Pourtant, des dispositifs juridiques extrêmement dissuasifs sont à leur disposition. D’après l’article L123-5-2 du Code de commerce, qui concerne le dépôt des comptes des sociétés commerciales intervenant dans le secteur de la distribution alimentaire, toute personnes est fondée à demander la publication de ces comptes, sous astreinte. Celle-ci peut atteindre jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires quotidien moyen hors taxes réalisé en France par la société au titre de cette activité, par jour de retard à compter de la date fixée par l’injonction. De quoi faire plier n’importe quel grand groupe en quelques jours.

En l’absence de procédure judiciaire contre Bigard, il y a tout lieu de penser que nos gouvernants trouvent son opacité acceptable.