« Délit » de manifestation : le Conseil d’État rejette notre requête contre le Ministre de l’Intérieur

Un Ministre de l’Intérieur peut appeler les forces de l’ordre à traiter comme des délinquants des manifestants qui ne le sont pas. C’est en somme ce que vient de trancher la plus haute juridiction administrative de notre pays.

Dimanche 26 mars 2023, notre association « Lanceur d’alerte » a saisi en urgence le Conseil d’État, après les déclarations du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur le prétendu « délit » de participation à des manifestations non déclarées. Par deux requêtes (une au nom de notre association, l’autre en nom propre), notre avocate Maître Marie-Pierre Mpiga, avocate au barreau d’Angers, a demandé aux juges d’annuler les énonciations liberticides de M. Darmanin. En vain.

Atteinte à la liberté de manifester

Lors d’un point de presse à la caserne de police boulevard Bessières à Paris, cinq jours plus tôt, le ministre de l’Intérieur, M. Gérald Darmanin présentait le dispositif de maintien de l’ordre prévu pour encadrer la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites le 23 mars 2023. [Vidéo.]

À cette occasion, il annonçait qu’il dénombrait « exactement 855 interpellations dans toute la France, pour 843 gardes à vue ». Seules 12 personnes ont pu échapper à une garde à vue dans ce contexte. Cela représente plus de 98 % d’interpellations suivies d’une mesure de contrainte.

Surtout, le ministre de l’Intérieur affirmait qu’« être dans une manifestation non déclarée est un délit ». Estimant qu’il s’agit de quelque chose de « totalement illégal », le ministre donnait consigne aux policiers et gendarmes de procéder à des interpellations sur cette base. Ces propos étaient alors repris sur le compte Twitter officiel du ministre.

Les énonciations du ministre de l’Intérieur, exprimées dans le contexte d’une crise démocratique sur une chaîne d’information publique, relayées par le compte Twitter officiel du ministre de l’Intérieur et donc associés à l’autorité publique responsable de donner instruction aux forces de l’ordre sur tout le territoire national, accessibles à un très grand nombre de personnes, constituent une atteinte manifestement grave et illégale à la liberté de manifester.

En effet, aucune disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non-déclarée, selon un arrêt de la Cour de Cassation du 14 juin 2022.

Le Conseil d’État déplore « le caractère erroné » des déclarations du Ministre

Par une ordonnance publiée aujourd’hui, mercredi 29 mars 2023, le juge des référés du Conseil d’État rejette nos requêtes ainsi qu’une requête similaire de M. Raymond Avrillier, déposée lundi 27 mars. Et ce alors même qu’il reconnaît que le Ministre de l’Intérieur a diffusé de fausses informations juridiques.

Dans cette décision pour le moins choquante en droit, celui-ci considère que « les propos [du Ministre de l’Intérieur] ne révèlent pas l’existence d’une instruction aux policiers et aux gendarmes d’interpeler toute personne se trouvant sur les lieux d’une manifestation au seul motif que celle-ci n’aurait pas été déclarée. D’autre part, ces déclarations faites le 21 mars dernier et alors même qu’elles ont été relayées sur un réseau social, pour regrettables qu’elles soient en raison de leur caractère erroné, ne sont pas susceptibles d’avoir par elles-mêmes des effets notables sur l’exercice de la liberté de manifester et de se réunir ».

C’est bien connu : les forces de l’ordre ne regardent pas la télévision, ne fréquentent pas Twitter, et n’obéissent pas à leur chef !

Dans les prochains jours, Lanceur d’alerte poursuivra son action grâce aux voies de recours toujours disponibles qui s’offrent à nous pour amener la justice à rectifier ce que nous estimons être une violation de la liberté de manifestation


Addendum, 3 avril 2023 : L’échec de notre requête contre le ministre Darmanin est en soi… une petite victoire ! Le Conseil d’Etat a certes jugé irrecevable notre action contre les déclarations liberticides et erronées de M. Darmanin, mais il a également souligné l’incurie du ministre dans son ordonnance, qui rencontre actuellement un grand écho dans la presse. [“Gérald Darmanin, le ministre du mensonge” – Médiapart]

Il ne fait plus aucun doute que le ministre diffuse des fake news juridiques au sujet de la liberté de manifester.

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