Un premier trafiquant de glyphosate mis en examen grâce à notre enquête

Un vendeur d’herbicide aura bientôt à répondre de ses actes devant la Justice. Fin de partie pour les trafiquants de glyphosate ?

En avril 2021, nous avions publié une enquête sur le trafic de désherbants au glyphosate. Nous y indiquions que les herbicides interdits à la vente libre depuis le 1er Janvier 2019, tel que le Round up ancienne génération, coulaient toujours à flots sur internet, vendus aux particuliers par des trafiquants cyniques.

L’objectif de cette enquête était de mettre en lumière ce gigantesque trafic impuni, dangereux pour la santé publique et l’environnement. Mais aussi de commencer à collecter des preuves : noms des protagonistes du trafic, lieux de stockage, moyens d’approvisionnement et de frêt, coordonnées et IP des trafiquants, échantillons de produits phytopharmaceutiques, enregistrements téléphoniques des trafiquants susceptibles d’être exploités ultérieurement par des enquêteurs assermentés.

Le publication de notre article commence à produire des effets concrets.

Un premier trafiquant de glyphosate vient d’être mis en examen à Tours. [Lire ici l’article de France 3.] Il aurait écoulé 9000 litres de produits phytopharmaceutiques prohibés, pour un montant total de 170 000 euros.

En garde à vue, le mis en cause a avoué les faits. Il sera jugé le 23 mai 2023 au tribunal correctionnel de Tours, où il risquera jusqu’à 7 ans d’emprisonnement. Nous couvrirons bien sûr cette audience sur place.

Notre enquête fait des émules

A la suite de la parution de notre investigation, nous avons été auditionnés par plusieurs agents de l’Etat : par l’Office français de la biodiversité (OFB), la Brigade nationale d’enquête vétérinaire et phytosanitaire (BNEVP) ainsi qu’un gendarme de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et la santé publique (OCLAESP).

A cette occasion, les enquêteurs ont procédé à la saisie d’un bidon d’herbicide que nous avions commandé pour faciliter l’identification des trafiquants et l’analyse des produits vendus. L’article s’avère être – sur le plan chimique – un produit standard, mais dépourvu de l’étiquetage obligatoire. L’herbicide en question était présenté par son vendeur comme un produit non-dangereux pour l’environnement ou la santé humaine, et même “biologique”, ne nécessitant donc d’après lui ni protections particulières ni dosages stricts.

Nous avons également remis aux agents publics des enregistrements téléphoniques destinés à prouver la matérialité des faits commis par les trafiquants.

Nous nous réjouissons qu’un premier pôle environnemental spécialisé en matière d’atteinte à l’environnement ait engagé des poursuites pénales dans ce domaine.

Le début d’une série de jugements ?

A l’heure actuelle, l’affaire de Tours semble être la seule du genre parmi les dossiers audiencés. Mais des affaires similaires pourraient voir le jour, nous indique un agent de la BNEVP : « Seuls les procureurs ont vocation à communiquer sur d’éventuelles affaires en cours, déclare-t-il à Lanceur d’alerte, mais la vente sur des sites de e-commerce de produits phytosanitaires et d’herbicides interdits aux particuliers est une problématique qui devrait nous occuper de plus en plus, vu l’importance du phénomène ». Reste à espérer que la politique pénale des parquetiers soit à présent à la hauteur de cette prise de conscience.

Impunité pour les grossistes ?

Seule déception dans cette affaire : que les têtes de réseaux ne soient pas inquiétées. Ou en tout cas qu’elles ne le soient pas en priorité.

En effet, l’homme qui sera jugé à Tours semble être un « dropshipper » situé en bas de la hiérarchie des trafiquants. Dans le jargon du e-commerce, le terme désigne un vendeur qui assure la promotion et la vente de produits sans jamais détenir de stock. [Ndlr. Si ces dropshippers ne sont jamais en contact avec la marchandise, leur implication dans la chaîne du trafic n’en est pas moins réelle et cruciale].

Quand les « dropshippers » vendent des produits phytopharmaceutiques sur internet, d’autres trafiquants, grossistes ou demi-grossistes détenant les stocks, prennent le relai. Ceux-là sont domiciliés en Espagne, où la législation sur le glyphosate est plus permissive. Ils expédient alors les commandes d’herbicides depuis des communes françaises limitrophes de l’Espagne. Notamment à Hendaye.

Certains de ces grossistes ont parfois leur propre site de vente. Exemple : desherbants.com. Le site est détenu par un trafiquant, Idir Guizem, qui s’adresse illégalement au marché français.

Au vu de ces éléments et de l’imprudence de certains grossistes, on peine à comprendre pourquoi aucun d’entre eux n’a pour le moment été mis en examen. Le manque d’harmonisation de la législation européenne ne ferait pourtant pas obstacle à leur poursuite. Car ces trafiquants agissent bien sur le territoire français, via leur sites web ou les plateformes de e-commerce, même s’ils sont domiciliés dans un pays voisin.

Ils est probable que pour faciliter les procédures pénales, l’OCLAESP attende d’identifier des lieux de stockage intermédiaires en France pour coffrer les têtes de réseaux. Mais rien ne garantit qu’une telle stratégie serait payante, car il n’est pas certain que ces lieux existent. En effet, d’après nos informations, les grossistes situés en Espagne et leurs marchandises traversent presque quotidiennement la frontière franco-espagnole pour éviter d’entreposer des stocks en France. Le trafiquant susnommé nous avait lui-même confirmé lors d’un entretien téléphonique qu’il lui arrivait parfois de rencontrer des difficultés avec les douanes lors de ses nombreux trajets transfrontaliers.

Affaire à suivre, donc, le 23 mai au tribunal correctionnel de Tours, où nous serons présents.

Pour financer la suite de cette enquête, nous comptons sur votre soutien, sur notre page Tipeee. Merci par avance !


Nota bene : Nous invitons les associations de protection de l’environnement agréées d’utilité publique à se constituer partie civile au titre du préjudice écologique afin d’avoir un droit de regard dans cette affaire et celles qui pourraient suivre, et de pouvoir faire appel du jugement de première instance si la sanction ne leur semblait pas suffisamment sévère.


Photographie : Negro Alka / Adobe Stock