Quand l’argent public de l’Union européenne profite aux ultra-riches

Pollueurs, milliardaires, évadés fiscaux, sociétés opaques… Et même à une société du régime dictatorial chinois. Dans la liste des principaux bénéficiaires des aides publiques européennes, les riches sont en pole position. Mais la Commission européenne peine à faire toute la transparence nécessaire sur la distribution de ces fonds. Qui sont donc les sociétés les plus rincées par le contribuable européen ?

Entre 2014 et 2020, 64 milliards d’euros d’aides publiques ont été offerts à des sociétés par l’Union européenne au titre du Fonds de cohésion, et 362,8 milliards au titre de la Politique agricole commune (PAC).

A défaut d’être destinées prioritairement à la mise en œuvre d’une transition écologique ou d’une alternative à l’actuelle économie mondialiste, les principales largesses de l’Europe sont octroyées aux plus riches. Y compris aux sociétés dont le bilan révèle un goût prononcé pour la prédation sociale ou environnementale. C’est en tout cas ce qui ressort de la liste des principaux bénéficiaires d’aides publiques européennes établie en mai 2021 par la Commission européenne.

L’impérialisme économique chinois subventionné par les Européens

79 millions d’euros d’aides européennes, qui dit mieux ? Entre 2014 et 2020, l’armateur Cosco Shipping a été l’un des principaux bénéficiaires des aides européennes (le 11e).

Cette société spécialisée dans le transport maritime de conteneurs géants est entièrement détenue par le régime dictatorial chinois, via une « société d’Etat » basée à Honk Hong dont les ramifications s’étendent dans le paradis fiscal des Iles Caïmans.

Cosco Shipping a acquis en 2016 une partie substantielle du port du Pirée, l’une des entreprises les plus stratégiques du continent européen. Après avoir acquis cette année-là 51 % de la société de gestion du port à l’issue d’un appel d’offres international [elle en détient aujourd’hui 67%], Cosco shipping a été abreuvée – en toute légalité – d’aides européennes.

Les fonds publics alloués à Cosco Shipping lui ont permis de doter le port d’un important terminal de transbordement, une zone de chargement d’un cargo à l’autre. Exit la souveraineté économique de l’Europe.

L’opération a évidemment permis d’accroitre le trafic maritime, hautement polluant. A son arrivée en 2016, le trafic du port s’établissait à 3,67 millions d’équivalent vingt pied (MEVP) ; il dépasse aujourd’hui les 5 EVP. Pour rappel, un cargo émettrait plus de particules fines qu’un million de véhicules sur le même temps d’utilisation.

L’extension de l’emprise européenne de Cosco Shipping n’a pas seulement favorisé le commerce extérieur de la Chine et la mondialisation extrême. Il a également renforcé férocement son influence politique. Depuis que Cosco Shipping a signé avec la Grèce l’accord de privatisation du port du Pirée, l’État membre est comme sous pavillon chinois : le gouvernement grec a posé son véto a un communiqué de l’Union européenne dénonçant les atteintes de la Chine aux droits de l’Homme. Finie la défense des droits humain ! La Grèce est désormais « ouverte pour le business [avec la Chine] », comme le clamait le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis au forum économique de Shangaï de 2019.

Les délocalisations, ça rapporte (de l’argent public) !

Mais la palme des bénéficiaires d’aides publiques revient au couple d’industriels Mittal. Monsieur et Madame Mittal se hissent à la première place des assistés de l’Europe, dans la liste des « bénéficiaires effectifs personnes physiques ». 101 millions d’euros d’aides publiques entre 2014 et 2020. Cette somme a été répartie entre 18 sociétés qui leur appartiennent dans plusieurs états membres, en Belgique, en Espagne et en Pologne.

Peu importe que M. Mittal ait acquis Arcelor, fleuron de la sidérurgie française, à la suite d’une OPA hostile. Peu importe qu’il ait fermé en 2009 les hauts fourneaux de Gandrange puis supprimé 1200 emplois en fermant en 2011 deux des trois hauts fourneaux de Florange, alors même qu’un rapport (« La filière acier en France et l’avenir du site de Florange ») remis à Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif le 27 juillet 2012, présentait Florange comme un site économiquement viable, et comme l’un des « trois sites d’Arcelor Mittal les plus performants en termes de coûts de production ». Peu importe tout cela, donc, seuls comptent les profits à venir des conglomérats mondiaux.

Optimisation fiscale et subventionnement sont cumulables…

Parfois, les aides publiques européennes sont versées à des sociétés dont l’environnement économique défiscalise par le biais de montages offshores. Tel est le cas de Castel Frères. La société, qui a perçu 5,8 millions d’euros de l’Europe entre 2014 et 2020, est détenue par la « société mère » Cassiopee Limited, domiciliée jusqu’en 2020 à Gibraltar, paradis fiscal, avant d’être transféré à Singapour, autre paradis fiscal.

Cassiopee est elle-même détenue à 99,5% par un fonds d’investissement basé à Singapour : Investment Beverage Business Fund (IBB Fund). Manque de chance pour l’Europe, les bénéficiaires effectifs de ce dernier fonds ne sont pas identifiables.

De même, Daniel Kretinsky (co-propriétaire, entre autres, du journal Le Monde), a bénéficié de 39 millions euros d’aides européennes alors même que ses holdings (non destinataires des fonds publics) sont basées dans les paradis fiscaux, du Luxembourg en passant par Jersey et les îles vierges britanniques.

Du côté agricole, le principal bénéficiaire des aides européennes de la PAC au cours de la période 2014-2020 n’est autre que le français Lactalis. Alors même que le géant de l’agro-alimentaire dissimulait les comptes de sa maison-mère jusqu’en 2019 et fait transiter d’importants flux financiers vers le Luxembourg. [Pour rappel, « Lanceur d’alerte » avait contraint en 2019 la maison-mère de Lactalis a publier ses comptes au tribunal de commerce de Laval.]

Ni contrôle de la Commission européenne, ni transparence effective

A ce jour, s’informer des projets financés par le contribuable européen relève encore du parcours du combattant. Fin 2021, la Commission européenne a mis en ligne « Kohesio », un site internet supposé cartographier l’ensemble desdits projets, et faire figurer le nom de leurs bénéficiaires, ainsi que l’objet des dépenses. Mais cette transparence demeure très partielle.

Après un tour sur le site, nous remarquons que certains bénéficiaires des fonds de cohésion y sont invisibles ou peu présents, empêchant tout accès à une information fiable concernant les subventions versées à des mastodontes. General Electric, bénéficiaire de 52 millions d’euros d’aides publiques entre 2014 et 2020, n’y apparaît pas. Quant aux 110 millions d’euros d’aides versées à Mittal sur la même période, seuls 1,5 millions y figurent.

Contactée par « Lanceur d’alerte », la Commission européenne nous indique qu’elle n’a pas vocation à procéder à des vérifications concernant l’emploi des sommes d’argent public versées aux principaux bénéficiaires, laissant toute latitude aux Etats membres de décider de l’opportunité d’un contrôle, et de les réaliser eux-même. Par ailleurs, elle ne détiendrait aucune des conventions de subvention, à l’exception de celles qui correspondent à des aides dont les montants dépassent le seuil de 50 millions d’euros.


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