Glyphosate : ces trafiquants qui nous inondent de pesticides

L’herbicide de Bayer-Monsanto n’a pas fini de nous empoisonner la vie. Interdits aux non-professionnels depuis le 1er Janvier 2019, les désherbants au glyphosate, tueurs d’abeilles et « cancérogènes probables », s’arrachent au marché noir. En violation des lois environnementales, des trafiquants en écoulent par milliers de litres sur Internet. Lanceur d’alerte a identifié et localisé ces vendeurs pour le moins toxiques.

Les jardiniers français seraient-ils toujours drogués au glyphosate ? Sur Ebay France, une offre proposant un bidon de 5 litres d’herbicide au glyphosate a déjà séduit plus de 5000 acheteurs, dont de nombreux Français. D’après nos estimations, cette seule annonce aurait dores et déjà permis de pulvériser une surface de 250 kilomètres carrés, à raison d’une utilisation d’un litre à l’hectare. Cela représente plus de deux fois la superficie de la ville de Paris. Et c’est bien sûr sans compter les dizaines d’autres offres de pesticides illégales publiées sur le site de e-commerce.

Depuis le 1er Janvier 2019, la mise sur le marché, la délivrance et l’utilisation de désherbants au glyphosate sont interdites par la loi Labbé, pour un usage non-professionnel. Ces produits sont désormais réservés aux agriculteurs et ne peuvent leur être vendus que par des entreprises agréées. Mais en dépit de la règlementation, certains jardiniers français, connus pour être de grands consommateurs de glyphosate, n’envisagent toujours pas de pratiquer le désherbage manuel. « Je continuerai à utiliser du Roundup 360, j’ai toujours fait comme ça » nous indique un consommateur contacté sur un site de vente. « On ne peut rien faire sans polluer, c’est la vie ! »

Indisponible dans les commerces, le glyphosate coule à flots sur internet. Dans les jours suivant l’entrée en vigueur de la loi Labbé, plusieurs sociétés ont mis en ligne des annonces de désherbants interdits à la vente libre. Ainsi le site internet desherbants.com, inauguré le 12 Février 2019. Dans l’une de ses publicités ciblant les internautes français, la page Facebook du site commercial se vante en toute décontraction de proposer des désherbants « indisponibles en France ». Et pour cause, ils ne peuvent ni être utilisés ni être vendus…

“Introuvable en France !” Quand la loi Labbé devient un argument de vente…

La plupart de ces annonces présentent les désherbants au glyphosate comme étant « non polluants, non irritants, non toxiques par inhalation, ingestion ou contact avec les yeux » . Autant d’informations mensongères mettant directement en danger les utilisateurs de ces produits et leurs proches.

L’utilisation de glyphosate serait absolument sans risque selon les trafiquants…

Qui sont les dealers de désherbants ?

Pour cette enquête, nous nous sommes intéressés à deux personnes comptant parmi les principaux trafiquants de glyphosate actifs sur le territoire français. Voici leurs noms, leurs sociétés, leurs moyens de vente et l’adresse de leurs lieux de stockage.

Le premier est un jeune Chinois résidant en Espagne. Il se nomme Yao Jianhao. L’un de ses articles phare, le Barbarian 360, produit concurrent du Roundup ancienne génération, a été vendu par dizaines de milliers de litres sur ses trois boutiques Ebay, comptant chacune plusieurs dizaines de références illicites. Il est également propriétaire du site internet desherbants.com où l’on retrouve les mêmes produits, qu’il expédie principalement en France.

Désherbants.com a été créé quelques jours seulement après l’entrée en vigueur de la loi Labbé

C’est lui sur ces photographies, en train de poser aux côtés de sa moto, ou sur un cheval, tel Napoléon Bonaparte.

Jianhao commercialise du glyphosate par l’intermédiaire de deux sociétés dont il est administrateur : « Xi An Jinmani Trading », agence de communication domiciliée à Madrid, et « Wildfire international », dont le siège est situé dans une maison d’habitation à Burgillos de Toledo, 6 rue Racimo. L’entrepreneur gère également une société de livraison à Irun, affiliée au réseau de transporteurs « GLS ».

Sur Ebay, la société « Wildfire International » prétend avoir un local en France à Hendaye, à deux pas de la frontière espagnole, dans la zone industrielle des Joncaux. La société est en réalité introuvable à cette adresse. Le propriétaire de la zone industrielle nous indique ne jamais avoir mis de local à disposition de cette société ou de ses représentants.

Nous avons retrouvé l’un des anciens associés de Jianhao. D’après lui, « Wildfire International » aurait loué quelques semaines un local à Hendaye pour pouvoir s’inscrire sur Ebay France, mais ne serait aujourd’hui plus présent dans l’hexagone. « Jianhao n’est plus à Hendaye mais il a des hangars dans toute l’Europe » nous indique son ancien complice.

Pour vérifier cette information, nous avons commandé du désherbant sur l’une des boutiques de Jianhao. Le produit nous a été expédié en 24 h depuis Hendaye par le service de livraison GLS. Jianhao a donc toujours un complice et des stocks en France.

Nous avons par ailleurs pu localiser l’un des vastes hangars espagnols de Jianhao, à Pampelune (Espagne).

Hangar de Yao Jianhao à Pampelune – Coordonnées GPS : 42.69025350417438, -1.7917217464919812

Le principal concurrent de Jianhao se nomme Idir Guizem. Après avoir coopéré plusieurs mois avec la société « Wildfire International », ce résident espagnol a créé la société « Idurar SL » avec deux autres membres de sa famille. L’entreprise située à Irun (Espagne), dans une zone commerciale très fréquentée par les frontaliers, vend sur le territoire français de nombreux pesticides interdits aux non-professionnels. On retrouve nombre de ses annonces sur Ebay, Leboncoin, Wish, ainsi que sur le site de son entreprise, desherbants-glyphosate.com, mis en ligne le 15 avril 2020.

Informations de la société Idurar SL au registre du commerce et des sociétés espagnol

Contacté par téléphone, M. Guizem admet avoir l’habitude de traverser la frontière franco-espagnole avec des chargements de désherbants. « Les livreurs ont parfois des problèmes avec la douane » reconnaît-il, tout en déniant faire quoi que ce soit d’illégal.

Il est vrai que les activités de « Wildfire International » et « Idurar SL » sont parfaitement légales dans leur pays, l’interdiction du glyphosate pour les non-professionnels n’entrant là-bas en application qu’en 2022. Pour autant, le manque d’harmonisation des lois européennes ne les autorise pas à commercialiser leurs produits en France. Le droit espagnol interdit l’exportation de telles substances dans les pays étrangers où elles sont prohibées. En outre, la commission d’un délit sur un site de vente s’adressant aux résidents français est sanctionnable en France, quelle que soit la nationalité de son éditeur.

Un réseau tentaculaire

Pour distribuer très largement leurs pesticides et diluer le risque pénal, certains trafiquants concluent des partenariats avec des particuliers ou des auto-entrepreneurs français pratiquant le « dropshipping ».

Le schéma est simple : un internaute publie des offres de désherbants sur les sites de petites annonces, Ebay ou Leboncoin. Quand celui-ci réalise une vente, il empoche le montant de la transaction et en reverse une partie substantielle aux trafiquants, lesquels se chargent eux-mêmes de l’expédition des produits. En cas d’intervention de la répression des fraudes ou des forces de l’ordre, l’internaute prétendra n’avoir mis en vente qu’un seul bidon, prétendument acheté avant l’interdiction et destiné à un usage personnel.

Annonce d’un « droppshiper » vendant du désherbant Radikal sur Leboncoin

« Les gendarmes peuvent toujours venir chez moi… je n’ai aucun stock ! » s’esclaffe un vendeur de désherbant Radikal et de Roundup situé près de Lure (Haute-Saône). Mais contrairement à ce que prétend ce jeune vendeur, l’opération n’est pas sans risque pour l’intermédiaire, aussi responsable pénalement que le fournisseur en personne, qu’il détienne un stock à domicile ou pas : une amende pouvant atteindre 30.000 euros assortie d’une peine de 6 mois de prison ferme.

Contactés par téléphone, la plupart des vendeurs font preuve d’une légèreté déconcertante dans leurs explications. « J’ai trouvé un filon de glyphosate » nous explique le Luron, qui prétend en écouler « pour aider les gens ». De la vraie philanthropie ! L’un de ses concurrents situé dans l’Aube nous indiquera quant à lui n’éprouver aucune gêne à l’idée de commercialiser illégalement ces substances.

Les plateformes de e-commerce responsables ?

Les sites de vente utilisés par ces vendeurs pourraient quant à eux être considérés comme complices de ce trafic. D’après la jurisprudence, la présence d’annonces illégales sur une plateforme, fut-elle le fruit d’une simple négligence de son éditeur, engage la responsabilité de celui-ci.

Contacté le 8 mars au sujet des nombreuses offres de désherbants interdits disponibles dans ses annonces, le site Leboncoin n’a pas donné suite à nos questions. Leboncoin a cependant supprimé, au bout de plusieurs semaines, l’ensemble des annonces que nous lui avions signalées. Depuis, quelques unes ont de nouveau fleuri sur ses pages, mais le site ne semble toujours pas doté d’un filtre de contenu adapté au problème. Bien qu’ayant subi quelques retraits d’annonces, le compte Leboncoin « Désherbants », détenu par Idir Guizem, postait de nouvelles annonces de désherbants au glyphosate le 14 Avril.

A la suite à nos signalements, les comptes Ebay de Yao Jianhao et Idir Guizem, qui existaient depuis plusieurs années, ont été supprimés par les équipes du site, au moment où nous terminions cette enquête. De nouveaux trafiquants y ont déjà pris leur place.