FC Lorient : derrière le club, l’ombre des paradis fiscaux

La Ville de Lorient est en train de négocier le montant qu’elle investira dans la rénovation du stade local. Le président-actionnaire du FC Lorient Loïc Féry, qui a structuré ses parts dans plusieurs paradis fiscaux, accueillera un nouvel investisseur à ses côtés cette année. De quelles retombées bénéficie la ville, en retour de son soutien au club ?

Depuis début janvier, la gestion du FC Lorient inquiète certains de ses supporters, ainsi que l’opposition au maire de Lorient, Fabrice Loher (UDI). Sujets de leurs préoccupations respectives : d’une part, la vente par son président et actionnaire Loïc Féry de 40% du capital à un nouvel investisseur, le financier texan Bill Foley. Et d’autre part, les investissements à venir de la municipalité dans le stade local, le Moustoir. 

La fiscalité locale perdante ? 

En effet, un budget de 41,7 millions d’euros a été décidé en septembre dernier pour rénover le stade du Moustoir. Or la répartition de ce budget est encore en cours de négociations, comme nous l’a confirmé la mairie de Lorient : « la Ville poursuit les discussions avec l’Etat, la Région, le département et le club sur la répartition des financements ». Et une part importante risque d’incomber à la Ville, propriétaire du Moustoir. La mairie joue l’apaisement, et précise ainsi que le projet prévoit un « phasage de réalisation », qui permettra « d’organiser des phases dans le temps au regard de la participation des financeurs ou de la situation financière de la collectivité ».  

Ce flou inquiète toutefois l’opposition au maire. Le groupe Lorient en Commun, qui la constitue, souhaite une nouvelle revue à la baisse du montant total. De fait, l’investissement avait déjà été réévalué par la mairie au printemps 2022, diminuant les ambitions initiales. Mais cela ne rassure pas encore le chef d’opposition et conseiller municipal Damien Girard (EELV) : contacté, il estime que même en réhaussant la redevance fixe, payée par le club à la Ville, pour prendre en compte la rénovation, cette dernière ne compenserait un investissement de 41 millions qu’après deux siècles… Et qu’entre-temps, le stade aura potentiellement été reconstruit plusieurs fois. Si l’investissement de la Ville sera nécessairement plus faible que les 41 millions du total, la comparaison donne toutefois un ordre de grandeur. Fan de foot, comme le maire Fabrice Loher (UDI), Damien Girard juge ainsi qu’il « faut savoir raison garder sur l’argent public, même si on est passionné par le foot ». Il compte aborder le sujet au prochain conseil municipal, le 9 février, lors du débat d’orientation budgétaire. 

Cet investissement dans le stade pourrait-il tout de même être rentable, indirectement, pour la Ville ? Le FC Lorient revendique depuis plusieurs années être l’un des principaux contribuables de Lorient, ainsi qu’un moteur économique pour le département. Consultée à ce sujet pour confirmer, la mairie nous a indiqué qu’il lui paraissait « plus à propos de consulter directement le club pour obtenir ces informations ». Elle nous a également renvoyé à une étude de 2018, réalisée par l’agence Audélor sur commande de l’agglomération de Lorient : le rapport final évaluait ainsi les retombées économiques du FC Lorient à 21,6 millions d’euros, en y comptant les salaires des joueurs, les dépenses liées à l’organisation des matchs et à la vie du club telles que la sécurité. 

Négociations à venir autour de la redevance

La fiscalité du club est toutefois principalement due à sa masse salariale (les salaires des joueurs). Elle relève donc de l’Etat. Du côté des impôts locaux, la part de la fiscalité est plus réduite. Or la Ville contribue aussi aux résultats financiers du FC Lorient. Comme l’explique le chercheur en économie du sport Mickael Terrien, les collectivités peuvent soutenir des clubs par voie indirecte, « par mise à disposition d’infrastructure à coût réduit ». Pour le FC Lorient, cette aide peut concerner le stade du Moustoir, détenu par la Ville, et la redevance d’occupation que lui paie le club pour l’occupation des lieux.

Cette redevance constitue un deuxième sujet majeur de négociations pour la ville dans les mois à venir : le bureau de communication du maire nous a expliqué qu’elle allait « travailler avec le club sur une nouvelle convention, l’actuelle n’étant plus, à [leur] sens, d’actualité », du fait de la modernisation en cours du stade. Jusqu’en 2010, la redevance payée par le FC Lorient pour son utilisation était historiquement basse : 70 000 € par an. Elle avait alors été relevée une première fois à environ 300 000 € par an. Renouvelée à l’été 2022 pour un an, la convention actuelle entre la Ville et le FC Lorient décompose cette redevance en une part fixe, de 163 000 € par an, sur la base d’un pourcentage de la valeur du stade ; à laquelle s’ajoute une couverture des charges de fonctionnement de 91 000 €. Et enfin, une part variable, dont le montant est relativement bas : elle est égale à 1,5% des revenus liés à l’exploitation du stade. Si le club ne transmet pas ses comptes à la ville, cette part variable est transformée en une part forfaitaire de 200 000 €. A titre de comparaison, la ville de Dijon réclamait en 2019 390 000 € de redevance fixe et 5% du chiffre d’affaires au Dijon FCO pour le stade local, d’une jauge similaire à celui de Lorient. 

Structuration opaque dans des paradis fiscaux 

Tout l’enjeu sera donc, pour la mairie de Lorient, de défendre ses intérêts face à la présidence du club. Ces dernières années, la municipalité s’est montrée plutôt indulgente avec Loïc Féry. Car en dépit du soutien de la ville, le président du club a structuré ses parts dans plusieurs juridictions financières offshore, profitant ainsi de leur opacité.

Loïc Féry détient sa participation dans le FC Lorient via une holding luxembourgeoise, A2MF Capital. Celle-ci est à son tour détenue par un trustee suisse, la fiduciaire Rysaffee. Depuis 2017, cette dernière gère les parts de la société luxembourgeoise A2MF au nom d’un trust baptisé Believe It Is Possible [littéralement : “Croyez que c’est possible”], dont Loïc Féry est le bénéficiaire. Selon la juridiction dans laquelle se trouve le trust, ce montage financier pourrait lui permettre de profiter de l’exonération de la taxe sur les plus-values, en cas de revente des actifs de Believe It Is Possible Trust, qui contrôle donc le club de foot. 

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Interrogé sur cette structuration financière, le FC Lorient n’a pas souhaité répondre à nos questions. Le club nous a néanmoins indiqué que « Loïc Féry vit et travaille à l’étranger depuis 25 ans », le financier étant résident du Royaume-Uni depuis plus de 20 ans. Reste que d’après la loi, un non-résident en France est aussi imposable en France sur ses revenus de source française – si tant est qu’ils soient déclarés en France. Le club souligne en outre qu’A2MF « est une société d’investissement luxembourgeoise qui regroupe ses participations dans des entreprises européennes et qui est soumise à la fiscalité européenne ». 

Quant à la mairie, sollicitée pour avoir son avis sur ces structurations financières, qui peuvent pourtant être détrimentaires à ses rentrées fiscales, elle a déclaré « ne pas avoir à commenter la structure financière du FC Lorient ».

Dans ces conditions, il est difficile de savoir ce que Loïc Féry tirera, à titre personnel, de la vente de parts du FC Lorient, car les comptes de ses sociétés ne sont pas tous accessibles. Actionnaire unique depuis 15 ans, le président a décidé d’ouvrir son capital à l’Américain Bill Foley, accompagné de la société Cannae Holdings qu’il préside et de la structure d’investissement Black Knight Football and Entertainment L.P. (BKFE) (détenue à 50,1 % par Cannae, et dont Bill Foley doit détenir 25% à terme). Ce groupe, domicilié dans le paradis fiscal du Delaware, doit prendre 40% des parts d’ici l’été. Quant à Loïc Féry, il envisage de vendre le reste de ses participations à partir de 2026.

Le club a cependant gardé le secret sur les détails de la transaction. Généralement, une telle ouverture du capital est réalisée à la fois par augmentation de capital et par cession de parts. Pour le président, la vente d’une fraction de ses parts lui permettrait d’ores et déjà de tirer profit de l’arrivée de Bill Foley. Loïc Féry est resté 15 ans au capital du FC Lorient, et a contribué à en faire un club bénéficiaire depuis plusieurs années – à l’exception de la saison 2020-2021, où tous les clubs ont pâti du Covid combiné au fiasco Mediapro. En cela, le FC Lorient est une rareté dans le paysage des clubs français. Toute la question, désormais, est donc plutôt de savoir à combien s’élève ce profit.

A Bournemouth, 3 fois la mise en 5 à 7 ans

Certains supporteurs craignent que Loïc Féry ait choisi Bill Foley pour maximiser ses bénéfices, au détriment d’une solution favorisant la stabilité du club. Et que l’arrivée de ce nouvel actionnaire ne menace la réussite du FC Lorient. Dans une lettre ouverte, publiée mi-janvier, le principal groupe de supporteurs, les Merlus Ultra, interrogaient ainsi : « où est l’intérêt de remettre à plat tout le fonctionnement, avec un modèle qui s’est déjà dupliqué ailleurs pour des résultats cataclysmiques ? » Autre crainte : que le FC Lorient ne devienne un réservoir à joueurs pour l’autre propriété de Cannae. Bill Foley et sa filiale BKFE ont en effet racheté un club de la Premier League anglaise, l’AFC Bournemouth, en octobre 2022 avec un investissement de 125 millions de dollars. 

Or, Cannae a de grandes ambitions financières pour ce club désormais « frère » du FC Lorient, l’anglais AFC Bournemouth. Lors de la conférence de présentation de ses résultats pour le troisième trimestre 2022, le PDG de Cannae Rick Massey déclarait ainsi espérer récupérer trois ou quatre fois sa mise, au minimum, dans les 5 à 7 prochaines années. Interrogée par Lanceur d’alerte pour savoir si les objectifs de Bill Foley et Cannae étaient aussi importants au Morbihan, la direction du FC Lorient n’a pas souhaité répondre. 

Les trajets en jet de Loïc Féry

La holding luxembourgeoise de Loïc Féry, A2MF Capital, détient aussi une société de locations d’avions : A2MF Aviation Limited. Domiciliée sur l’île de Man, un autre paradis fiscal, cette dernière a perdu entre 130 000 euros et 200 000 euros chaque année, d’après les comptes disponibles (à partir de 2017). S’agit-il de la société permettant à Loïc Féry de louer des jets privés pour ses déplacements ?

En tous cas, la question du financement de ses trajets en avions privés s’est posée de manière accrue pour lui ces dernières années. Après un contrôle fiscal portant sur les années 2010, 2011 et 2012, Bercy estimait que certains déplacements effectués par Loïc Féry – qui habite à Londres –  n’auraient pas dû être pris en charge par le FC Lorient comme des frais de transport – et donc, qu’ils n’auraient pas dû être déduits de la base imposable du club. Après des passages devant le tribunal administratif, la cour d’appel puis le Conseil d’Etat,  la cour administrative d’appel de Nantes a finalement validé en partie le redressement fiscal, en juin 2022. Les magistrats ont alors considéré qu’une partie des voyages correspondaient bien à des dépenses personnelles, et non professionnelles.

Photographie : Loïc Féry, actionnaire du FC Lorient – Bruno Perrel

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