“Vertes”, “responsables”, “écologiques” ? enquête sur les assurances-vie des mutuelles

Investir dans un entrelac de sociétés d’assurances lucratives, telle est la stratégie de la MACIF, la Matmut et la MAIF, pour vendre aux épargnants des assurances-vie sous une apparence « sociale » et « écologique ». Alors que ces mutuelles revendiquent des valeurs vertes et solidaires, certains de leurs investissements financent des activités polluantes, controversées, ou domiciliées dans les paradis fiscaux. 

« OFI action climat », « OFI actions économie positive »… Les solutions d’épargne de la Macif sonnent comme autant de possibilités d’engagement citoyen. Leurs plaquettes de réclame nous offrent la possibilité « d’investir dans des entreprises responsables », « engagées dans le développement durable autour des thèmes de la transition énergétique [et] de la préservation des ressources naturelles (…). » Ces promesses paraissent d’autant plus attractives que la Macif, par son statut mutualiste, est une société non-lucrative revendiquant des qualités « éthiques et respectueuses de l’environnement ». La finance serait devenue si vertueuse, si propre, qu’elle détrônerait presque Greta Thunberg. Mais voyons ce que l’on trouve derrière cette novlangue « écolo »…

Pour proposer des produits d’épargne offensifs à ses clients, la Macif a pris part au capital – en tant qu’actionnaire unique ou majoritaire – de plusieurs sociétés d’assurances à but lucratif, dont elle perçoit des dividendes. Ce surprenant montage, mi-mutualiste mi-lucratif, permet à la Macif de percevoir via ses filiales des profits issus de fonds de placement et de SICAV, situés pour certains au Luxembourg, tout en s’assurant de rester dans le giron de l’économie sociale et solidaire, avantageux en terme de com’.

En parcourant les informations contractuelles de l’assureur et celles des greffes des tribunaux de commerce, on constate en effet que la Macif s’est dotée d’une importante structure financière franco-luxembourgeoise, le groupe OFI, pour vendre des produits d’épargne aux particuliers.

Le schéma est relativement simple. Les clients de la Macif sont démarchés par leur mutuelle ou par la société Mutavie, une société appartenant entièrement à la Macif chargée de distribuer des produits d’assurances. Ils se voient proposer de déposer des économies sur des « unités de compte » du groupe Ofi asset management, lui aussi détenu par des mutuelles [le groupe est détenu par la Macif (61 % du capital), la Matmut (25,8 % du capital) et le groupe Ofivalmo partenaires (13,3 % du capital), au sein duquel figure la MAIF, « assureur militant »].

 

Plusieurs mutuelles non lucratives ont pris le contrôle du groupe d’assurances lucratif OFI

Quand un client de la Macif ou de Mutavie porte son dévolu sur le produit « Ofi économie positive », ses économies sont dirigées vers un compartiment de la SICAV luxembourgeoise Ofi Fund (elle-même gérée par la société luxembourgeoise Ofi Lux). Les gains engendrés par les placements de cette SICAV sont ensuite distribués à l’épargnant, ainsi qu’au groupe Ofi, lequel rétribue en fin d’année ses actionnaires mutualistes, à la réputation parfaitement désintéressée.

Questionnés au sujet des motifs de leurs investissements dans un paradis fiscal, les mutuelles et le groupe OFI nous répondent ceci : OFI AM ne dispose que d’une filiale au Luxembourg : OFI Lux. Luxembourg, membre de l’Union européenne, est une place reconnue et avérée en matière de services aux investisseurs. Elle est, depuis 2016, la première bourse verte du monde. La filiale d’OFI AM à Luxembourg est une plateforme technique de gestion de fonds d’investissements investis sur les marchés réglementés reconnus par l’UE. Elle gère des fonds d’investissement conformes aux directives européennes (UCITS, AIFM), lesquelles fixent strictement le cadre juridique de la gestion d’actifs et protègent les investisseurs”.

Le greenwashing ne sauvera pas le monde

Mieux encore, lorsqu’un épargnant souscrit à l’unité de compte écolo « Ofi action climat », un fonds d’actions investissant « dans des sociétés européennes les plus engagées sur les thèmes environnementaux », son argent finance des grands groupes à l’impact écologique considérable.

Nous nous sommes procurés l’inventaire des investissements de ce fonds en date du 31 Août 2021. Dans cette liste de sociétés affichant des critères sociaux et environnementaux satisfaisants aux yeux du groupe Ofi figure la compagnie pétrolière Neste Oil, l’une des bêtes noires de Greenpeace. Le groupe Neste Oil étant l’un des principaux producteurs d’agrocarburants au monde, avec son diesel à base d’huile de palme, responsable de la déforestation de forêts tropicales primaires.

Le fonds dédié à la lutte contre le changement climatique finance également Heineken (la bière au houblon de qualité), Pernod Ricard, Adidas, Inditex, propriétaire du groupe de fast-fashion Zara. Mais aussi Unilever (célèbre producteur de sprays déodorants et de la bonne bouffe de Knorr), ou encore la société Symrise, spécialiste des arômes pour l’industrie agroalimentaire ou celle du tabac. Le climat est sauvé !

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Plus étonnant encore, une SICAV luxembourgeoise du groupe, Ofi Invest, investit massivement l’argent de ses clients chez Boeing, Airbus, Amazon, Nike, Vinci, dans le Nasdaq, ainsi que dans des services informatiques chinois basés aux Iles Caïmans : Alibaba et Pinduoduo. On la surprend même à financer la société Lux Liberty Media, propriétaire des championnats du monde de Formule 1… Autant de placements dont les trois mutuelles susnommées tirent profit, par un jeu de poupées gigognes.

 

Les investissements aux Iles Caïmans d’OFI Invest (administrée par Ofi Lux)

Nous avons demandé aux mutuelles et au groupe OFI au regard de quelles données précises – financières ou extrafinancières – l’ensemble des investissements évoqués ici pouvaient être considérés comme éthiques ou respectueux de l’Environnement. “Les investissements labellisés « finance responsable » d’OFI AM s’inscrivent dans le cadre réglementaire, et normatif des labels, nous répond-on. Ils rentrent dans la catégorie des investissements « socialement responsables » et non dans la catégorie des fonds d’exclusion dits « éthiques “, plus répandus dans les pays anglo-saxons.

Des normes légales peu audacieuses

Tous ces investissements dans « le monde d’avant » sont parfaitement éco-compatibles, si l’on en croit les normes actuelles en vigueur. Ofi asset management a reçu en 2021, pour 20 de ses fonds, le label ISR, décerné aux acteurs de « l’économie responsable» qui intègrent les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) dans leur méthodologie d’investissement.

L’année de la COP21, le groupe OFI a mis au point une « méthodologie verte » de sélection de leurs investissements, s’appuyant principalement sur la prise en considération de deux paramètres: les performances des sociétés en terme d’émissions de dioxyde de carbone (OFI exclut certains pétroliers et l’ensemble des utilisateurs de charbon), et leur stratégie de réduction de ces émissions dans les secteurs les plus « carbo-intenses » de leurs activités.

Des sociétés ultra-polluantes peuvent ainsi être considérées comme dignes de figurer dans un « fonds responsable », à condition qu’elles communiquent sur leur verdissement ou l’amélioration de leurs méthodes de gouvernance. C’est notamment le cas de Neste Oil, qui s’est engagée à réduire progressivement sa production de carburants à base d’huile de palmes jusqu’à son arrêt total, prévu dans quelques années.

Par souci d’objectivité, mentionnons que l’ensemble des investissements d’OFI action climat ne sont pas polluants ou controversés. Certains financent directement des entreprises reconnues dans le domaine de la transition écologique : producteurs d’énergie verte, fabricants de véhicules pour les transports en commun, tel qu’Alstom, isolants écologiques pour l’habitat. Ce type d’investissements représenterait environ 30 % de ceux du fonds, selon nos estimations. Un effort honorable ne justifiant sans doute pas tant d’autosatisfecits et de réclames sur son impact environnemental.

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